Le voyage de la pierre en forme de rein

2021 · IN

Tout d’un coup, de la neige sans milieu règne sur le monde. Elle prononce illico l’appel anéchoïque des présents. Chacun répond à sa manière, bruisse, craque, crie. Elle ne laisse que des lignes indécises, des hauteurs relatives et des sols incertains.

Une pierre est tombée dedans et pas n’importe laquelle…

Oui, le milieu du monde neige est gommé. Il est confié aux enfants et oiseaux, toutes sortes de paires de patte agitées. Pour les autres, pas la peine de chercher : plus de milieu. Il ne leur reste que la sensation de l’épaisseur, un trait de mémoire. Seulement des traces en surface, le relief ne se creusera qu’à la fonte. Le blanc sent le pardon et tarit les résolutions. Le dessous est insoupçonnable, le dessous grouille de cailloux, d’herbe, de baisers. À la fontaine, l’eau jaillit folle comme une preuve.

Mon corps déréglé demande des pieds et des ailes, un nez et une bouche. Sinon, je n’en ferais rien que de la salive et de l’urine. Mon corps déréglé par le virus dicte ses silences, tire des larmes et se répète. Les couleurs muettes au vent réclament l’amour de droit ou de misère. La neige de près, enfant ou épris, l’enfouissement dedans, respirer la fait fondre. Rien ne bouge et ne veux, sauf la pierre en forme de rein, lointaine dans la neige molle. Une musique d’Arvo Pärt et des mots de Marie-Hélène Lafon. La foi de l’un rend sa lumière comme une huître, l’eau ; l’abattement de l’autre à vivre, n’a jamais scintillé autant. Leurs justesses soulagent. Tant que rien ne sent, ne goûte, pas même l’air du petit matin, la tête de corps dépasse du sol, la lapidation pourrait avoir lieu. La pierre en forme de rein poursuit son chemin. Marcher alors. J’entends les pas dans ma poitrine, la neige pétrit la tentative, attrape les pieds, étreint les chevilles, se pique à la gravité et sourit. Les plis glabres de ses abdomens nus  soulignent les « m » de maman, ses syllabes installent clopin-clopant la béatitude au visage. Le vide est doux quand ses ventres président. Monté sur ses genoux, la crainte s’apaise. Un tour en enfance, au pied de l’église, les cloches faciles à volonté. L’enfant regarde l’insecte agoniser, pince la fleur sans pétale, s’ennuie ensoleillé. La pierre est dans sa poche. De vieilles bulles fatiguées éclatent et postillonnent. De l’eau et du savon, du souffle, une rondelle à bout de doigts retient des images tordues et les lâche au vent. Ils partiront nos deuils postillonnants, trois temps : un temps à regarder les choses voler, un temps pour les perdre et re-souffler.

Le titre de cette série est inspiré d’une nouvelle de Haruki Murakami : « La pierre-en-forme-de-rein qui se déplace chaque jour ».

2 réactions au sujet de « Le voyage de la pierre en forme de rein »

  1. MON frère.
    Même dans l’atténuation des sens …
    La distance à être n’empêche.
    C’est le paradoxe.
    Et comme tu le tiens et le laisse échapper aussi.
    je sens la densité d’un temps dans ce que tu.
    Je t’en prie continue.
    C’est beau et plus que ça.

    1. Bonjour mon Frère,
      Je viens de découvrir ton message de presque un an…
      J’attendais ce message comme un tréssaillement et puis, je nous sais dans des quête l’un l’autre
      D’autres frémissements
      de petits soleils
      je le reçois maintenant
      je veux que tu saches ce temps étrange
      ce décalage du non acte
      je veux que tu saches mon appétit
      d’une terre commune avec toi.
      j’ai hâte de voir ton travail se réaliser aux yeux des gens
      entendre le dialogue de la musique avec ton travail
      voir ton travail naître.
      Ton frère.

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